Pour le maintien de la présomption de propriété dans la loi 2021-016 afin d’assurer l’autosuffisance et la souveraineté alimentaires à Madagascar – Newsletter n°175

Les risques de crise alimentaire et l’aggravation de la famine menacent tous les pays du monde en raison de la guerre entre la Russie et l’Ukraine (1). Madagascar figure parmi les pays qui dépendent des importations de denrées alimentaires, venant non seulement de ces deux pays (2) mais aussi des autres continents (3).

L’autosuffisance et la souveraineté alimentaires deviennent des enjeux encore plus cruciaux qu’auparavant.

Comme la disponibilité de terres à cultiver par les paysans afin de nourrir l’ensemble des populations urbaines et rurales malagasy fait partie des facteurs de production indispensables pour atteindre ces objectifs, le Collectif TANY tient à enrichir le débat déjà en cours avec les décideurs et toutes les parties prenantes, sur la nouvelle loi foncière relative aux propriétés foncières privées non titrées 2021-016 (4) en soulignant les difficultés rencontrées par les citoyens malagasy vulnérables et leurs acquis à préserver.


EXIGER UN DOCUMENT ÉCRIT DE PROPRIÉTÉ EST INHUMAIN DANS LE CONTEXTE ACTUEL

Le texte de plaidoyer de la pétition en cours intitulée « Les Malagasy méritent de jouir pleinement de leurs terres Â » (5) met en évidence, à juste titre, des obstacles qui empçchent les Malagasy vulnérables, de jouir de leurs terres, comme l’inexistence de politique claire et de stratégie opérationnelle d’accès à la terre ainsi que la lenteur et le coût inabordable pour les citoyens vulnérables de la procédure d’immatriculation en vue de l’acquisition de titres fonciers. Mais de plus, la loi 2021-016 sur les propriétés foncières privées non titrées dépouillera des millions de citoyens malagasy de leurs terres ancestrales et des parcelles acquises par les ménages, si jamais elle est appliquée. Elle contient en effet des changements de plusieurs clauses de la loi 2006-031 qui avait été mise en place par la réforme foncière de 2005 pour sécuriser les droits fonciers des paysans.(6)

La clause de la nouvelle loi dont les impacts sont les plus dangereux concerne l’exigence de la détention par les citoyens d’un document légal, titre ou certificat foncier, pour que leur droit de propriété soit reconnu. Ce point, mis en exergue dans les articles 2, 21 et 22 de la nouvelle loi, annule donc la présomption de propriété, c’est-à -dire la création du droit de propriété acquis par l’occupation et la mise en valeur d’un terrain pendant plusieurs années (7).

Cette conformité aux pratiques locales existe pourtant dans la législation malagasy depuis l’indépendance (8). Alors que la terre a une valeur culturelle particulière pour les Malagasy de l’ensemble de l’île, l’annulation de cette présomption de propriété et l’expulsion annoncée de ceux qui ne disposent pas d’un titre ou d’un certificat foncier constituent une atteinte grave aux droits fonciers des citoyens, une violation historique des droits coutumiers et un piétinement de valeurs culturelles liées à la terre encore fortement ancrées à travers le pays.

Sur le plan pratique, l’incapacité de millions de citoyens à posséder un certificat foncier est indépendante de leur volonté. Les guichets fonciers existants et les projets incluant l’ouverture de nouveaux guichets fonciers et des certifications groupées ne couvrent ni toutes les régions ni toutes les communes. Les titres fonciers étant inabordables, les paysans de plusieurs centaines de communes ne disposent d’aucune alternative.

Quant au niveau économique, mçme dans les communes bénéficiaires de certifications groupées, personne ne doit oublier que 70 à 80% de la population malagasy vit sous le seuil de pauvreté depuis plusieurs années, selon la Banque Mondiale (9) et que mçme le coût plus modique de l’obtention des certificats par rapport à celui des titres n’est pas à la portée d’une grande partie des habitants qui peinent à subvenir aux besoins de leurs familles chaque jour. 

Ainsi, les dirigeants qui souhaitent imposer la formalisation de tous les droits fonciers par un document écrit et exigent désormais l’existence d’une preuve écrite devraient se rendre à l’évidence et tenir compte des réalités. Les millions de citoyens malagasy vulnérables ne doivent pas çtre encore ceux qui devront sacrifier leurs droits de propriété parce que pour diverses raisons, les guichets fonciers n’existent pas dans toutes les communes de l’île et que l’histoire ancienne et récente de l’île dans tous les domaines a aggravé les inégalités entre les riches et les pauvres à Madagascar.


LES PAYSANS MALAGASY DOIVENT DISPOSER DE LEUR DROIT DE PROPRIÉTÉ POUR NOURRIR LES MALAGASY 

La mise en valeur actuelle de leurs terres par les paysans leur permet de nourrir leur famille pendant plusieurs mois de l’année au moins, et constitue un acquis qu’il faut absolument préserver voire développer.

Selon des experts, les agricultures familiales malagasy « assurent l’essentiel de la production et de l’alimentation urbaine et rurale grâce à la prédominance de cultures vivrières mais produisent également pour l’exportation des fruits et surtout des épices ». « La propension des agriculteurs familiaux à produire pour l’autoconsommation peut çtre transformée en atout dans la lutte contre la pauvreté et en levier de développement pour la sécurité alimentaire et pour l’emploi des jeunes ruraux ». Ayant constaté, dans les exploitations agricoles dans le Vakinankaratra, la pratique de « l’intensification agricole », [qui] « peut permettre aux paysans d’optimiser la productivité par les associations de cultures et la polyculture, de minimiser les risques liés à la spécialisation et de subvenir aux besoins d’autosubsistance  » (10), et de l’ « agrobiodiversité », des chercheurs ont écrit que « Au-delà des stratégies anti-risques, les pratiques agro-écologiques sont la manifestation d’un réel savoir et savoir-faire agronomique des communautés locales » (11).

Face à la nécessité de compter davantage sur la production vivrière locale et nationale dans la conjoncture actuelle et dans l’avenir, les responsables devraient donc donner aux paysans malagasy l’opportunité de continuer à améliorer leur efficacité et efficience, en leur apportant davantage de reconnaissance et de soutien dans le cadre d’une politique nationale publique plus cohérente, au lieu de mettre en place une loi foncière qui dépouillera les Malagasy vulnérables de leur patrimoine, augmentera au centuple le nombre des sans-terre, sans-travail et sans-revenu et aggravera la famine à Madagascar.


CONCLUSION

Après les nombreuses publications des organisations paysannes et de la société civile sur les points saillants de la nouvelle loi foncière 2021-016 et ses conséquences, ce communiqué a délibérément focalisé son contenu sur la présomption de propriété car son maintien dans la loi s’avère primordial pour ne pas aggraver la pauvreté et la famine. Bien que d’autres éléments de la nouvelle loi méritent aussi une attention, cette clause concerne et affecte le plus grand nombre de citoyens malagasy. La souveraineté et la dignité nationale exigent de réfléchir de nouveau à chacune des décisions qui risquent fort d’accroître la misère d’une partie importante de la population.


14 avril 2022 

Collectif pour la défense des terres malgaches – TANY
patrimoine.malgache@yahoo.fr, www.terresmalgaches.infowww.facebook.com/TANYterresmalgaches
Le Collectif TANY est désormais sur Twitter : @CollectifTany

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RÉFÉRENCES

(1) https://www.franceinter.fr/monde/guerre-en-ukraine-pourquoi-l-onu-s-inquiete-d-un-ouragan-de-famines-dans-le-monde

(2) https://www.fao.org/fileadmin/user_upload/faoweb/2022/Info-Note-Ukraine-Russian-Federation.pdf

(3) https://www.koolsaina.com/video-madagascar-depend-a-90-des-importations/

(4) https://www.assemblee-nationale.mg/wp-content/uploads/2021/07/Loi-n%C2%B0-2021-016-propri%C3%A9t%C3%A9-fonci%C3%A8re-priv%C3%A9e-non-titr%C3%A9e_corrig%C3%A9.pdf
https://www.terresmalgaches.info/newsletter/article/newsletter-170-fr-_-madagascar-resume-et-analyse-des-points-saillants-de-la

(5) https://chng.it/YxdgTDb7XV

(6) http://www.justice.mg/wp-content/uploads/textes/1TEXTES%20NATIONAUX/DROIT%20PRIVE/Textes%20sur%20le%20foncier/lois%20et%20ordonnances/6.pdf

(7) Loi 2005-019 – Paragraphe 2. Des terrains détenus en vertu d’un droit de propriété non titré,- Art. 33. – Ensemble des terrains, urbains comme ruraux, sur lesquels sont exercés des modes de détention du sol se traduisant par une emprise personnelle ou collective, réelle, évidente et permanente, selon les usages du moment et du lieu et selon la vocation du terrain, qui sont susceptibles d’çtre reconnu comme droit de propriété par un acte domanial
https://edbm.mg/wp-content/uploads/2017/12/loi-2005-019_statuts_des_terres.pdf

8) Loi 60-004 du 15 février 1960, article 11 al.2 et article 18 : http://www.justice.mg/wp-content/uploads/textes/1TEXTES%20NATIONAUX/DROIT%20PRIVE/Textes%20sur%20le%20foncier/lois%20et%20ordonnances/3.pdf

(9) 79,8% vit dans l’extrçme pauvreté en 2021 : https://www.ifc.org/wps/wcm/connect/731fb42d-48d5-4d37-90e5-3c873ed10ad6/CPSD-Madagascar-Summary-FR.pdf?MOD=AJPERES&CVID=nVJGzXy

(10) Sourisseau Jean-Michel, Tsimisanda Henri-Michel, Bélières Jean-François, Elyah Ariel, Bosc Pierre-Marie, Razafimahatratra Hanitriniana Mamy. 2014. Les agricultures familiales à Madagascar : Un atout pour le développement durable. https://agritrop.cirad.fr/575694/

(11) Raharison Tahina, Bélières Jean-François, Salgado Paulo, Autfray Patrice, Razafimahatratra Hanitriniana Mamy, Rakotofiringa Hery Zo. 2017. Agro-biodiversité dans les exploitations agricoles familiales du Moyen Ouest de Vakinankaratra : des paysans en avance sur la recherche et le développement agricole durable ? : https://agritrop.cirad.fr/586888/1/2017_Communication_Agrobiodiversit%C3%A9_Tahina%20Raharison%20et%20al.pdf