Six semaines après le 25 septembre 2025, début de la mobilisation historique des jeunes et de diverses forces pro-démocratiques de Madagascar et une semaine après la nomination du premier gouvernement de la Refondation de la République de Madagascar, beaucoup de citoyens émettent des doutes, à juste titre, quant à l’évolution de la situation nationale vers les changements escomptés, notamment par les jeunes. Certains disent qu’il faut du temps pour cela. Dans ce communiqué, nous exhortons les décideurs, à prendre, dès cette période de transition-refondation, des mesures de vigilance extrême pour éviter l’accaparement de terres malgaches, notamment par des acteurs étrangers.
La spoliation des terres des paysans et des citoyens de toutes les régions de l’île par les puissants, les oligarques et pour des projets soi-disant présidentiels était un des sujets de contestation de l’équipe Rajoelina par la population, depuis plusieurs années. Un fait nouveau positif mérite d’être souligné : l’annonce par le Ministre de l’Aménagement du Territoire et des Services Fonciers, au cours de la séance de passation de service, que les terres spoliées allaient être rendues aux communautés locales, a suscité beaucoup d’intérêt et d’espoir.
Les petites îles du nord de Madagascar – Nosy Sakatia, Mitsio, Iranja – ont notamment été citées. Un conseil juridique se disant missionné par les hautes autorités a effectué des visites sur terrain dans l’archipel de Nosy Be, a écouté la population et collecté de nombreuses données. Avant toute prise de décisions sur chaque cas, une analyse minutieuse de la situation juridique de chaque petite île, chaque réserve foncière touristique et surtout des nombreuses parcelles menacées d’accaparement sur l’île de Nosy Be, devra être effectuée.
En revanche, les nouvelles autorités devraient s’exprimer sans tarder et faire preuve de transparence totale sur leur décision quant à la mise en œuvre du projet de Zone Franche Internationale Touristique en collaboration avec les Emirats Arabes Unis annoncée par le Conseil des Ministres du 19 mars 2025, dont la localisation n’avait pas été précisée.
Les remblais illicites ont également fait l’objet de déclarations du Ministre en charge du Foncier. De nombreux foyers concernés attendent fébrilement d’être rapidement rétablis dans leurs droits. Tous espèrent que la reconnaissance des droits des victimes et des menacés d’accaparement de terres dans les cas mentionnés précédemment constituera une jurisprudence pour la résolution des nombreux autres conflits fonciers, sources d’injustice sociale, au cours des prochains mois.
Le choix de certains ministres de ce gouvernement a été largement critiqué et a fait l’objet de nombreuses protestations. Le ministère d’Etat en charge de la Refondation de la République a été confié à une députée du parti de l’ancien président Ravalomanana, qui avait négocié en 2008 la location à la société sud-coréenne Daewoo Logistics pour 99 ans de 1,3 million d’hectares de terres dans 4 régions, à savoir Atsinanana, Melaky, Menabe et SAVA. La société Daewoo avait publié dans la presse internationale, début 2009, que le projet allait être suspendu en raison de la crise politique. Son annulation n’a jamais été confirmée par écrit jusqu’à présent, ce qui suscite de profondes inquiétudes quant à sa reprise éventuelle.
Des organisations de la société civile ont également dénoncé le choix du Ministre des Mines, ancien Secrétaire Exécutif de la Chambre des Mines qui regroupe les compagnies minières opérant à Madagascar et, par ailleurs, un des fervents soutiens du dangereux et controversé projet minier Base Toliara. (1).
Devrions-nous encore attendre 2 ans, la fin de la Transition-Refondation, avant de prendre des mesures de protection des terres malgaches ? Pour rappel, c’était au début de la Transition de 2009 qu’ont été signés, dans la plus grande discrétion, plus de 10 contrats dont les communautés locales subissent encore actuellement les conséquences négatives, pour ne citer que le projet d’agrobusiness Tozzi Green et le projet minier Toliara Sands devenu Base Toliara par la suite (2).
Soyons vigilants dès maintenant. La prise de décision sur la mise en place des balises solides nécessaires pour la défense des terres malgaches doit figurer dans les urgences pendant la période de transition-refondation et dans les critères de l’évaluation des ministres prévue d’ici 2 mois.
En effet, les coordonnateurs des rapaces en terre en vue de gagner des crédits-carbone ont déjà commencé à rassurer leurs équipes qu’il n’y aura pas de modification notable dans la politique crédits-carbone malgré les « troubles politiques » et le « changement de dirigeants ». Ce sera du « business as usual ».
Le Premier Ministre et le Ministre de l’Environnement actuels sont d’ailleurs cités dans un article de Carbone Pulse comme étant des partisans du marché carbone, alors que ce système a été créé par les grandes entreprises pour pouvoir continuer leurs activités de forte émission de gaz à effet de serre. Et son efficacité réelle sur la réduction du dérèglement climatique fait l’objet de discussions. L’analyse d’un contrat entre des paysans malgaches de 4 régions du centre de l’île censés planter des arbres sur leurs terrains sur une surface de 10.000 ha afin de faire gagner des crédits-carbone à une entreprise française vient pourtant de montrer à quel point le contrat est gagnant-perdant : l’entreprise partenaire effectue toute la gestion financière du projet et les paysans malgaches ne gagnent, pendant quelques décennies, que des miettes restant après que la société française ait déduit ses frais et sa part des ventes de crédits-carbone, ces miettes représentant un pourcentage dérisoire du montant des crédits carbone. Néanmoins, ils s’engagent à planter des arbres et à en prendre soin pendant un nombre d’années largement supérieur à l’espérance de vie d’un Malgache.
Cette lutte contre l’accaparement des terres malgaches est une obligation urgente et cruciale dès le début de cette transition (3).
Beaucoup de terres ont déjà été bradées sous forme de vente ou de location (4) à divers particuliers et entreprises, nationaux et étrangers. Cette hémorragie doit être stoppée !
07 novembre 2025
Collectif pour la défense des terres malgaches – TANY
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Références :
(2) La liste des contrats se trouve à la page 4 de ce document :
https://www.ecoi.net/en/file/local/1094620/1930_1369236275_g1313694.pdf
(3) Cette proposition de feuille de route de la Gen Z propose à la page 11 un « moratoire » sur les terres, qui pourrait être une mesure à approfondir
https://www.gen-z-madagascar.com/wp-content/uploads/2025/10/Fdr-GenZ.pdf
(4) La loi malgache sur le bail emphytéotique ne limitant pas le nombre de renouvellements, la location de terres à des investisseurs étrangers équivaut à une vente à très bas prix des terres malgaches.