La levée de la suspension du projet Base Toliara décidée par le Conseil des Ministres le 27 novembre 2024 a réjoui la Chambre des Mines et le Groupement des Entreprises de Madagascar, selon leur déclaration du 14 décembre. Mais le Collectif TANY tient à exprimer son indignation face à cette décision. En effet, le protocole d’accord (Memorandum of Understanding) signé récemment entre l’Etat malgache, le projet Base Toliara et la compagnie minière américaine Energy Fuels, maison-mère actuelle de Base Toliara, met en évidence que malgré les milliards de dollars annoncés comme gains futurs pour l’Etat malgache et les millions de dollars promis pour les projets sociaux, les engagements pris par les décideurs malgaches s’avèrent tellement contraignants et « sans limitation » que l’Etat malgache perd sa souveraineté, en même temps que ses ressources naturelles non renouvelables, dans la transaction. De plus, aux difficultés inouïes rencontrées par l’ensemble des habitants de Madagascar pour survivre actuellement, s’ajoute désormais pour les communautés locales riveraines de l’exploitation minière, la certitude grandissante des risques pour leur environnement et leur santé liés à la radioactivité et pour la perte de leurs terres. Les informations et alertes autour de ce projet minier continuent à nécessiter la vigilance de l’ensemble des citoyens.
Le Ministre des Mines élude-t-il le problème de la radioactivité en confiant la responsabilité à l’INSTN (Institut National des Sciences et Techniques Nucléaires) ?
L’une des principales raisons pour lesquelles le Collectif TANY considère depuis des années que le projet Base Toliara ne devrait pas reprendre concerne la radioactivité importante de certains minerais prévus d’y être extraits. Au cours de sa présentation des arguments qui ont conduit à la levée de la suspension de ce projet minier (1), le Ministre des Mines Rakotomalala Herindrainy Olivier cite ce sujet dans les mesures envisagées pour la protection de l’environnement et déclare que, dans le cadre du protocole d’accord, une convention spéciale concernera la gestion des radiations, et l’Institut National des Sciences et Techniques Nucléaires (INSTN) prendrait en charge le problème au cas où des radiations seraient identifiées.
A ce propos, en octobre 2024, un débat sur la radioactivité sur le site de Ranobe de Base Toliara a été planifié par les organisateurs le jour de l’ouverture de la 14éme Conférence Internationale sur la Physique des Hautes Energies qui s’est tenue dans le district d’Ambohidratrimo (2). Mais ni les partisans du projet Base Toliara, ni le Directeur Général de l’INSTN invités n’ont fait le déplacement ou participé en ligne. Un échange par mail établi après la conférence par le Pr Narison Stephan, Directeur de Recherche Emérite CNRS (LUPM-Montpellier) et principal responsable de la conférence, a permis d’apprendre que le Directeur de l’INSTN qui avait contredit les résultats d’évaluation de la radioactivité sur le site de Ranobe effectuée par des universitaires malgaches à l’aide du matériel de l’INSTN, ne pouvait pas donner accès à ses données, car elles appartenaient à l’Etat, cette évaluation ayant été réalisée dans le cadre d‘une commande de l’Office National de l’Environnement. Le Collectif TANY réitère ici son intervention au cours de cet échange, qui a souligné qu’il était surprenant de soutenir que la radioactivité n’existait pas ou pourrait être absente du gisement de Ranobe quand trois documents de la compagnie minière Base Resources, ancienne maison-mère de Base Toliara elle-même, portant sur ce site minier, affirment que cette radioactivité est supérieure aux seuils acceptables :
– l’étude de préfaisabilité de mars 2019 mentionne que le taux d’uranium et de thorium contenus dans le zircon ne permettront probablement pas l’exportation de cet élément vers les Etats-Unis (3),
– l’étude de faisabilité définitive de décembre 2021 confirme l’importance de la radioactivité car les valeurs de l’uranium et du thorium contenues dans le zircon sont supérieures à 500 ppm (4),
– l’étude de préfaisabilité de la monazite du projet Toliara de décembre 2023 met en évidence la nécessité de mesures de protection pour les travailleurs et les communautés, à cause du classement de la monazite du projet Base Toliara parmi les « marchandises dangereuses de classe 7 » à cause du niveau élevé de la radioactivité qui nécessite la séparation de la monazite des autres marchandises lors de la manipulation, du stockage, et du transport par bateau (5).
Décider d’autoriser la reprise des activités de Base Toliara en faisant fi des risques de problèmes respiratoires, de cancer et de malformations congénitales pour les générations successives des habitants des environs des sites d’exploitation et d’expédition des minerais de Base Toliara s’avère irresponsable et dangereux.
Concernant les autres aspects environnementaux, nous ne développerons pas ici la destruction de la forêt Mikea, la consommation d’eau excessive par la société, dont l’utilisation directe des nappes phréatiques souvent évoquée ne réduira pas à néant ses impacts négatifs, ainsi que les nuisances sonores importantes que subiront les communautés riveraines suite au passage régulier, plusieurs fois par heure, des camions de 90 tonnes de la compagnie minière.
Des divergences de vue au sein des grandes institutions face au projet Base Toliara ?
Les communautés locales et les organisations de la société civile qui s’opposent à l’ouverture du projet minier Base Toliara ont reçu un soutien et une médiatisation de poids en novembre 2024, par la publication de l’ONG internationale catholique CCFD-Terre Solidaire d’un article intitulé « A Madagascar, la société civile se mobilise contre la mine Base Toliara » (6). Cette publication suscite aujourd’hui des questions sur l’existence ou non d’un consensus au sein des différentes structures de l’Eglise catholique face à ce mégaprojet controversé à cause de ses impacts lourds sur le plan environnemental et social. Ce 18 décembre 2024 en effet, le site d’information Africa Intelligence (7) publie que « La hiérarchie catholique a, elle aussi, salué la reprise du projet, qui serait, selon elle, un facteur de développement local. Mgr Fulgence Rabeony, archevêque de Tuléar jusqu’en juillet 2023 et président de la Conférence épiscopale de Madagascar (CEM) de 2002 à 2004, dispose d’une certaine influence sur place, tout comme le père Barex, du diocèse de la même localité ». Un article de presse d’août 2024 mettant en exergue le soutien de père Barex à l’ouverture de Base Toliara (8) avait précisé que les hommes d’église « ont également réalisé des visites d’un autre grand projet d’exploitation d’ilménite à Fort-Dauphin pour vérifier la véracité des affirmations selon lesquelles les activités minières nuisent à la santé publique». Leur recherche de preuves sur les maladies et malformations congénitales était manifestement insuffisante car ils ne font pas état de visite ou d’échanges avec les populations impactées des communes environnantes de Fort-Dauphin où plusieurs cas d’enfants portant ces pathologies existent. De plus, ils ne semblent pas informés du dépôt en avril 2024 d’une plainte judiciaire par le cabinet d’avocats britannique Leigh Day contre Rio Tinto QMM au nom des communautés locales à cause du taux élevé de plomb et d’uranium dans les prélèvements sanguins de plus de 60 villageois suspecté d’être dus à la pollution de l’environnement par les eaux usées de la mine. « Le plomb est particulièrement nocif pour les jeunes enfants, car il provoque des lésions cérébrales permanentes qui peuvent entraîner toute une série de troubles cognitifs et comportementaux. L’exposition à l’uranium peut nuire au développement de l’organisme, en particulier chez les enfants et les femmes enceintes, ainsi qu’augmenter les taux de cancer et endommager les fonctions rénales » (9).
Les millions de dollars que l’on fait miroiter rendent-ils réellement la population malagasy « gagnante » ?
La santé et l’environnement ont été relégués au second plan par les décideurs car les aspects financiers ont ébloui les esprits. Le Ministre commence par évoquer que c’est la première fois que l’on connait exactement la somme qu’une exploitation minière va rapporter : 5 milliards de dollars pendant la durée de vie de l’exploitation, sans préciser le nombre d’années. Il mentionne plusieurs dizaines de « millions de dollars américains après la certification du projet » et après le début de l’exploitation en 2025, etc.…. Mais dans les extraits de sa présentation diffusés par la Télévision Nationale TVM (1), les engagements de l’Etat malgache sont à peine effleurés. Or la lecture de ces engagements de l’Etat malgache montre que l’Etat sera obligé de réviser la Loi sur les Grands Investissements Miniers (LGIM), sûrement dans un sens très favorable à Energy Fuels, compte tenu du rapport de forces. D’après le résumé du protocole d’accord consultable sur internet, « entre autres, (…) l’Etat devra soutenir le développement rapide du Projet Toliara, y compris (sans limitation) en faisant en sorte que toutes les autorités compétentes de l’État examinent et accordent en temps opportun toutes les demandes complètes de permis, licences ou autorisations nécessaires ou souhaitables pour le développement et l’exploitation du Projet Toliara conformément aux lois de Madagascar. L’Etat devra maintenir la stabilité fiscale, juridique et douanière du Projet Toliara » et s’engage à « ne pas prendre d’intérêt », tel qu’un « partage de production », dans la société Energy Fuels (10). En un mot, l’Etat ne pourra plus exercer sa souveraineté mais se plie véritablement aux demandes de la compagnie minière américaine.
Ces considérations financières semblent séduisantes surtout dans la période actuelle où l’Etat Malgache vient de subir un refus de déblocage d’un financement de 100 millions de dollars de la Banque Mondiale (11) et de 103 millions de dollars du Fonds Monétaire International (12) pour ne pas avoir respecté les conditionnalités préalables convenues avec ces deux institutions. Mais une très grande prudence est nécessaire.
Un protocole d’accord n’étant pas un contrat définitif, les données mentionnées sont susceptibles de modifications. La révision de la LGIM qui a déjà commencé début décembre (13) risque d’augmenter les avantages des compagnies minières au détriment de la partie malgache. Or, dans la version en vigueur actuellement de cette LGIM, les manques à gagner de l’Etat en termes d’impôts sont déjà importants. Une présentation intitulée « Décentralisation foncière et activités minières à Madagascar » faite au Canada au mois d’octobre (14) a précisé que les Droits et Taxes Spéciaux sur les Produits Miniers (DTSPM), qui sont de 5% de la valeur des produits des Mines à l’exportation selon le nouveau Code minier, sont de 2% avec abattement de 50% sur les produits des mines finis transformé pour les compagnies minières bénéficiant de la LGIM. Ces dernières sont exemptes du minimum de perception au niveau de l’impôt sur les bénéfices. Et l’impôt retenu à la source est réduit à 6,75% au lieu du taux standard de 10% au profit des prestataires étrangers. À cela s’ajoutent l’exonération des droits de douane et d’importation ainsi que du remboursement de la TVA sur les acquisitions locales.
Ces largesses apparentes de la société minière américaine ont probablement été calculées pour être rapidement, voire largement, compensées par les privilèges énormes que devra lui accorder l’Etat malgache dans le cadre de la LGIM.
Conclusion
Parmi les enjeux liés à ce projet, le sujet crucial qui intéressera les communautés locales au plus haut point sera la reconnaissance des droits fonciers des habitants qui vivent sur l’ensemble des 470 km2 du périmètre minier et dont la majorité ne dispose pas de titres de propriété. Energy Fuels déclarant refaire une étude de préfaisabilité et le Ministre Rakotomalala annonçant l’existence de compensations prévues pour les terres, les communautés locales concernées et l’ensemble des citoyens attendent avec impatience et inquiétude la divulgation des décisions concrètes sur les critères de choix des bénéficiaires et le montant de ces compensations, souvent sources de conflit.
Par ailleurs, l’annonce prématurée de la reprise des activités de la société Base Toliara prévue en 2025, en raison probablement de besoins financiers urgents, amène le public à se demander si des avances ne sont pas déjà versées à l’Etat malgache sur ces millions de dollars convenus dans le protocole d’accord et provoqueront des déceptions plus tard. En outre, les citoyens ne peuvent pas s’empêcher d’émettre des doutes sur l’utilisation véritable des millions de dollars destinés aux actions sociales pour les communautés, face aux différences flagrantes de priorités actuelles entre les dirigeants décideurs et la population malgaches.
D’ores et déjà, la filiale Base Toliara commence à essayer d’éteindre le feu des contestations encore vigoureuses des communautés riveraines du gisement de Ranobe contre la levée de la suspension du projet au cours de réunions publiques dans les zones affectées, début décembre, en « arrosant » les communautés de « projets sociaux » (15).
19 décembre 2024
Collectif pour la défense des terres malgaches – TANY
patrimoine.malgache@yahoo.fr, http://terresmalgaches.info,
Facebook: TANYterresmalgaches, X: @CollectifTany, Instagram: collectif tany
Références :
- https://www.youtube.com/watch?v=Y1AE7dt9vY0
- HEPMADA 24
- Base Resources, Toliara Project Pre-Feasibility study. Summary outcomes, 21 March 2019, page 17
- Base Resources, Toliara Project Definite Feasibility Study 2. Summary Outcomes, 27 September 2021, page 30
- Base Resources, Toliara Monazite Project Pre-Feasibility Study, 14 December 2023, page 32
- À Madagascar, la société civile se mobilise contre la mine Base Toliara – CCFD-Terre Solidaire
- Africa Intelligence 18 décembre 2024
- Père Barex : La réouverture du projet Base est un élément essentiel pour le développement de la région Atsimo Andrefana – Midi Madagasikara.
- http://www.leighday.co.uk/media/egoniac/20240404-press-release-french.pdf
- https://www.energyfuels.com/2024-12-05-Energy-Fuels-and-Madagascar-Government-Execute-Memorandum-of-Understanding-to-Further-Advance-Toliara-Critical-Mineral-Project-in-Madagascar
- AIDES FINANCIÈRES – La Banque mondiale bloque 468 milliards d’ariary
- https://www.africaintelligence.fr/afrique-australe-et-iles/2024/11/19/faute-d-ajustement-du-prix-de-l-essence-le-fmi-retarde-un-pret-de-103-millions-de-dollars,110340120-art
- ATELIER DE CONCERTATION SUR LA MISE À JOUR DE LA LOI SUR LES GRANDS INVESTISSEMENTS MINIERS (LGIM) – Ministère des Mines
- Les enjeux des droits des communautés locales face à l’exploitation minière à Madagascar : Quels défis à surmonter ? – Projet d’études sur les technologies de l’information et des communications (ÉTIC) | CEIM | UQAM
- Base Toliara : Plusieurs projets sociaux en vue – Midi Madagasikara ; ILMÉNITE DE RANOBE – Base Toliara reprend du service