LES HABITANTS DE NOSY SAKATIA ET DE TOUTES LES PETITES ÎLES DU NORD DE MADAGASCAR SONT EN DANGER – Newsletter n°228

L’intérêt des investisseurs pour les terres s’est accru après la crise alimentaire et financière mondiale de 2008, et le phénomène d’accaparements de terre s’amplifie dans le monde. La particularité de Madagascar depuis cette époque jusqu’à maintenant réside dans le fait que ce sont les dirigeants du pays qui ont appelé et invité les étrangers à venir s’emparer des terres. Cela a encore été mis en évidence par les faits récents dans les petites îles (« nosy ») qui longent l’île principale dans la partie nord de Madagascar. Les populations malgaches qui y vivent sont préoccupées et angoissées par la crainte d’être expulsées de leurs terres pour satisfaire les malgaches richissimes et les investisseurs étrangers qui opèrent dans le secteur du tourisme.

Cet article vise à présenter des faits, à exprimer des désaccords et à relayer des suggestions.


Les problèmes sur l’île de Sakatia sont brûlants

C’est en 2016 qu’une société dénommée GREEN MADA LAND a envoyé un messager aux habitants de Nosy Sakatia annonçant qu’elle avait signé un contrat de longue durée de 40 ans (bail emphytéotique) avec l’État et que les habitants devaient quitter l’île. La communauté locale très solidaire a refusé. L’entreprise a ensuite essayé de négocier avec elle de différentes manières. De leur côté, les habitants ont utilisé tous les moyens pour identifier les entités qui composaient la société GREEN MADA LAND. Le 13 décembre 2024, pour la première fois, trois personnes déclarant être membres de la société GREEN MADA LAND, ainsi que des représentants de deux ministères et un agent topographe, sont venus sur l’île. L’équipe a déclaré venir pour réaliser une étude d’impact environnemental, mais les habitants ne les ont pas autorisés à pénétrer sur l’île car aucune personne de l’Office National pour l’Environnement (ONE), responsable incontournable d’une telle étude, n’était présente. Le 28 décembre 2024, deux gendarmes accompagnés du chef fokontany d’une localité voisine sont venus « explorer » Nosy Sakatia sans expliquer la raison de leur visite. Face aux différentes menaces entendues ces derniers temps, ce fait a suscité des inquiétudes et des questionnements : Se pourrait-il que le but de cette visite des gendarmes sans explication des raisons ait été de préparer une expulsion forcée et de manière violente des habitants ? Si c’est le cas, alors c’est totalement inacceptable.

Face à cette question, il convient de rappeler que lorsque les enquêtes approfondies auprès des institutions qui auraient dû détenir les informations sur la société GREEN MADA LAND n’ont pas produit de résultats, la communauté a porté plainte. Elle a perdu au Tribunal de première instance, mais gagné en Appel. Malgré cette victoire, le problème a continué car la demande de titre foncier de l’association des habitants a été refusée et on lui a notifié que ce serait le cas jusqu’à ce que le décret qui a fait de Nosy Sakatia une « réserve foncière touristique » en 2000 soit abrogé. Une décision de justice a annulé le bail emphytéotique signé en 2016, mais on a appris plus tard que l’entreprise avait obtenu un nouveau bail.

L’un des aspects souligné par les habitants est qu’on ne leur a jamais montré de document ni sur le projet ni sur l’hôtel prévu, ni sur les différents arrangements proposés pour amener les habitants à accepter, tels que « les habitants recevront un terrain sur le littoral pendant que la société réalisera son projet à proximité ».

Le point important à noter est que la communauté locale de base (VOI) de Nosy Sakatia avait déjà reçu le transfert de gestion des ressources naturelles en octobre 2022 – n°663/22-MEDD/SG/DREDD.DIANA –  et en décembre 2023, elle a reçu un renouvellement de l’autorisation de gestion pour 10 ans car l’île regorge de ressources naturelles, telles que : 

  • Noyau dur d’une zone protégée à Ambohibe interdit au public d’une surface de 12 ha
  • Forêt de mangroves Andranomatavy 10 ha
  • Zone de pêche traditionnelle d’environ 110 ha autour de Nosy Sakatia ;
  • Zone de reboisement à Sakatia 15 ha
  • Plages autour de Nosy Sakatia 7,2ha
  • L’île Raty, qui est une île funéraire recouverte par du « Corail Noir ».
  • Orchidées
  • « L’île de Sakatia, située au large de la côte Nord-Ouest de Madagascar dans l’archipel de Nosy Be, recèle une fabuleuse biodiversité marine et côtière. Ses eaux turquoises abritent des récifs coralliens remplis de vie, ainsi que cinq espèces de tortues marines comme la tortue verte (Chelonia mydas, EN), la tortue imbriquée (Eretmochelys imbricata, CR), la tortue Olivâtre (Lepidochelys olivacea), la tortue Caouanne (Caretta caretta, EN) et la tortue Luthe (Dermochelys coriacea,CR). Ses plages sont des sites de ponte pour ces magnifiques créatures. »

Nosy Sakatia dispose également d’une culture particulière : il est interdit d’y amener des chiens et d’y travailler la terre les dimanches, mardis et jeudis. Faire la lessive le mardi est tabou.

“Véhicule à moteur interdit de circuler dans l’île de Sakatia, fusil harpon (fusil sous marin) interdit dans la zone protégée »  parce qu’il faut la gérer et la protéger

Les personnes associées dans GREEN MADA LAND sont-elles tellement riches et puissantes qu’elles n’ont aucun respect et font fi de toute décision de justice ?


Le nombre d’îles prévues d’être attribuées aux investisseurs augmente, les habitants sont en difficulté.

Cela fait des années que des terres de Nosy Be ont été bradées et les problèmes de la population persistent car de nombreux citoyens ont eu leurs maisons démolies et ont été expulsés de leur terrain. En revanche on ne sait pas comment les quelques riches personnages autorisés à s’installer ont été sélectionnés. Les habitants de Nosy Sakatia luttent pour garder leurs terres depuis neuf ans, mais bien qu’ils aient gagné au tribunal, l’entreprise GREEN MADA LAND n’a pas cessé d’essayer de les expulser, sous prétexte de construire un hôtel. Depuis 2020, le gouvernement a suspendu la possibilité pour les habitants de Nosy Mitsio d’effectuer la moindre procédure relative à l’acquisition de documents fonciers. On apprend maintenant que Nosy Mitsio a déjà été attribué à un investisseur émirati, mais aucune autorité étatique ne daigne annoncer ni expliquer cela aux communautés locales (fokonolona). En décembre dernier, un média a publié que les îles Nosy Iranja et Sainte Marie font partie des sujets de transaction entre les hautes autorités et des investisseurs étrangers. Nosy Bora serait également touchée.

Le gouvernement prévoit-il de donner toutes les îles, les unes après les autres, à une personne ou une entreprise ? Si c’est le cas, où iront les habitants car pour les Malgaches, la principale source de subsistance de la majorité de la population est la terre qui est sacrée et précieuse pour eux car ils l’ont héritée de leurs ancêtres ?

Les citoyens sont désemparés car certaines autorités régionales soutiennent le projet visant un développement par le tourisme basé sur l’attribution des terres et des ressources naturelles aux étrangers.

Les organisations de la société civile expriment leur point de vue sur le développement réel 

Les projets de l’Etat, étiquetés « projets présidentiels » sont très inquiétants pour la population, car les autorités prétendent qu’ils sont conçus pour l’intérêt général (« d’utilité publique ») alors elles obligent les citoyens à quitter leurs terres, alors que ce n’est pas du tout le cas. Si ces projets vont vraiment développer le pays, pourquoi les autorités n’en parlent-ils pas de manière claire en informant le public ?

La population apprécie aussi les belles choses et souhaite le développement. Par exemple, si l’île de Nosy Be est restée si charmante et appartient à tout le peuple malgache, c’est que nos ancêtres l’ont protégée de la destruction et de la convoitise des autres. Ils croyaient que cet endroit devait être préservé pour l’amour de la patrie, pour la pérennité du patrimoine malgache, pour que nos descendants en héritent. Les dirigeants de l’État la trouvent donc belle et attrayante. Le fait déplorable est que ces soi-disant projets d’État ou projets présidentiels sont utilisés comme instruments de destruction des terres et des biens des citoyens déjà en difficulté, alors les gens souffrent et sont en colère.

L’éventualité de l’intervention des forces de l’ordre est aussi préoccupante. S’il y a une présence militaire, c’est que l’on va faire du forcing. Dans le passé, la cordialité et l’honnêteté primaient dans la société malgache. Pourquoi les a-t-on remplacées par la force, la répression, l’argent et le prestige ?

La manière de diriger le pays que nous pensons adéquate est la suivante : les autorités présentent un projet à la population, expliquent et précisent tous les détails et demandent si le projet lui convient, échangent puis exécutent ce qui a été convenu par tous, comme résultat de ce processus. Par contre, ne pas informer du tout et ne pas demander l’avis de la population sont aussi inacceptables qu’imposer par la force.

Concernant le tourisme, la population connaît bien Nosy Be, son environnement et ses richesses et sont prêts à les promouvoir pour contribuer au développement du pays si telle est la politique de l’État et si les bénéfices pour la population locale sont clairement définis et convenus d’un commun accord. Il en est de même pour toutes les autres îles.

Les expulsions et les évictions forcées des habitants de leurs terres conduisent à un anéantissement de la nation malgache. Les étrangers accepteront-ils si nous allons dans leur pays et les expulsons pour prendre possession de leurs terres ?

Conclusion

L’Etat, le gouvernement et le peuple malgaches déclarent protéger l’environnement et les ressources naturelles. Cependant, si l’hôtel envisagé par les investisseurs est réellement mis en place à Nosy Sakatia, plusieurs ressources naturelles disparaîtront dans la zone gérée par la communauté locale de base (VOI). Nous savons pourtant que l’environnement se dégrade au niveau mondial. Sans compter les ressources marines qui diminueront ou seront même détruites par les actions et mouvements des nombreux touristes, si on transforme cette île en y construisant un grand hôtel.

Enfin, les faits sont surprenants et absurdes : les investisseurs étrangers sont portés aux nues, mais les intérêts de la population sont piétinés et ignorés. Où est le vrai développement ?


20 janvier 2025

Signataires :

  • ANJAVA SAKATIA
  • Association des Amis de Nosy-Be AAN
  • Association des Volontaires Actifs – AVA
  • Association des Volontaires pour la Défense des Droits des Consommateurs – A.V.D.C.C
  • Association FIAROVANA
  • Association IZARA
  • Association Mpiasa afak’aba Mivondrona – MPIAMI
  • Association TAMBATRA
  • BIMTT
  • Centre de Recherches et d’Appui pour des Alternatives de Développement – CRAAD-OI
  • CLB RASIS : Regroupement d’Action pour la Sauvegarde de l’Ile de Sakatia
  • Coalition Nationale de Plaidoyer Environnemental – CNPE
  • Collectif pour la défense des terres malgaches – TANY
  • CRADES Ambanja – Centre de Réflexion et d’Action pour le Développement et l’Environnement de Sambirano
  • Esazisoa Ymca
  • Fédération CLB Ambaro Lovainjafy Baie d’Ambaro
  • Fédération des CLB Tahavono Nosy Be
  • Femmes en Action Rurale Madagascar – FARM
  • Fikambanana FAFAMA Moramanga
  • Fikambanana Miaro sy Mitsakaraka ny Tombontsoan’ny Nosy-Be – FMMTN 
  • FIKAMBANANA TAFATAFA
  • Fikambanan’ny Tanora Mandala ny fahamarinana mba ho fampandrosoana ny Firenena – FTMF
  • FUB BATAN
  • Gny To tsy mba Zainy – GTZ 
  • Monique Raharinosy
  • MSIS Tatao-Multi-Sector Information Service
  • Ny Tanintsika Tnr
  • ONG AZAFADY
  • ONG CODE Menabe
  • ONG FIANTSO Madagascar
  • ONG Ravintsara 
  • ONG TSANTA
  • ONG TSINJO AINA Mahajanga
  • Organisation de la Société Civile sur les Industries Extractives – OSCIE
  • OSC Magnarigny Ambilobe
  • OSCE  MANDRESY DIANA
  • Plateforme pour l’Environnement et Développement de Nosy Be – PFED
  • Plateforme régionale Sociétés Civiles Alaotra Mangoro
  • Plateforme ROHY
  • READ-DSS
  • Réseau d’Acteurs d’Ambilobe
  • Réseau des Jeunes pour le Développement Durable – RJDD
  • ROSEDA
  • SAKATIA AVENIR
  • SAKATIA NATURE
  • SEDRS Bealanana
  • Solidarité des Intervenants sur le Foncier (SIF)
  • SIRFA Nosy-Be : Sehatra Ikambanany Ray aman-dreny amin’ny Faritany Antsiranana
  • Solidarité pour l’Environnement et le Développement de la Région Sofia
  • Tafo Mihaavo
  • TAMBATRA Antafondro Nosy-Be
  • Tambazotra Nasionaly Mpiantsehatra amin’ny Fifidianana – TNMF
  • Vohifiraisana Analamanga