Projets présidentiels de réhabilitation ou de construction de routes : Les riverains confrontés a des souffrances et injustices – Newsletter n°223 (FR)

Plusieurs médias rapportent que, durant le mois d’octobre 2024, des centaines de ménages, dans les régions Atsinanana et Analanjirofo, ont vu leurs habitations et leurs champs agricoles détruits en raison de l’application de la loi sur l’expropriation pour cause d’utilité publique, dans le cadre de la construction de routes.

Il est indéniable que l’amélioration de l’état des routes est essentielle au développement de tous. Cependant le non-respect de la loi et la violation des droits humains ainsi que l’indifférence à l’égard des populations riveraines dont font preuve certains responsables sont à la fois surprenants et inacceptables. Ces agissements doivent être dénoncés et portés à la connaissances de l’ensemble de la population et des plus hautes autorités. Nous craignons en effet fortement que ces activités annoncées et censées apporter le développement entraînent et augmentent la pauvreté de la majorité de la population et entrent en contradiction avec l’intérêt public et l’intérêt national.

LES FAITS
Les faits présentés concernent la construction de la route nationale 5 (RN5) selon les plaintes des victimes mais on sait que la situation est similaire en de nombreux endroits (1).


En raison de la construction de la route RN5, il est prévu que les abords de la route feront l’objet d’une déclaration d’utilité publique (Décret n°2022-628 déclarant l’utilité publique des travaux d’aménagement et d’asphaltage de la route nationale secondaire RN5 et arrêté 15531/2023-MATS). Un périmètre de 15 mètres de part et d’autre de la route était initialement désigné comme concerné par l’utilité publique. Mais cela a changé par la suite : les 30 mètres ont été pris d’un seul côté incluant l’ancienne route.


Des employés de la société MOSS se sont occupés des expropriations et ont négocié avec les habitants pour qu’ils partent et les habitants devaient prendre eux-mêmes en charge la démolition de leurs maisons. Ils ont assuré que l’Etat verserait des indemnisations, non pas avant de quitter les lieux mais quand l’Etat aura de l’argent. Comme les habitants n’étaient pas d’accord, les gens de l’entreprise ont apporté un document mentionnant le montant de l’indemnisation. Le montant n’a pas fait l’objet de discussion avec les habitants concernés, c’était une décision unilatérale. Les gens de l’entreprise ont demandé de signer la lettre d’acceptation et d’ouvrir un compte bancaire pour que le Gouvernement y dépose l’argent lorsque le Trésor le lui donnera. Aucun paiement d’indemnisation n’a été effectué jusqu’à présent.

Certains habitants n’étaient pas d’accord, ont engagé un avocat pour les défendre et pour déposer une plainte au tribunal. Ils ont également envoyé une lettre au ministère des Travaux Publics demandant que toutes les procédures soient revues afin de les conformer aux dispositions de la loi. Cependant, en réponse, le représentant local du gouvernement (Préfet) a convoqué une réunion du fokonolona (communauté) le vendredi 5 juillet 2024, à laquelle ont participé les représentants des Travaux Publics, du Bureau d’études, de l’OMC et le Commandant de Brigade de gendarmerie de Soanierana-Ivongo. Il a annoncé publiquement que les résidents devaient quitter les lieux dans les 10 jours. Comme les habitants ne sont pas partis, le District de Soanierana Ivongo a envoyé une lettre leur demandant de quitter leurs terres. Il est précisé dans la lettre que c’est le Ministre des Travaux publics qui lui en avait donné l’ordre.

LES ACTIONS MENÉES AU NIVEAU DE LA JUSTICE ET LA SUITE DONNÉE

Certaines victimes de cette affaire ont déposé une plainte devant le tribunal administratif pour faire cesser l’exécution de l’ordonnance et ont demandé le respect des lois en vigueur. Cela a mis en colère les responsables du District et du Ministère qui ont demandé un retrait de la plainte. Les plaignants ayant
refusé d’obtempérer, une audience a eu lieu le vendredi 25 octobre, la demande d’arrêt de l’exécution a été refusée. Le lendemain, un samedi, le préfet, le district, les policiers de Fénérive-Est et de Soanierana-Ivongo sont arrivés, munis de fusils, ont forcé les habitants à quitter les terrains et ont démoli les maisons. Les gens qui avaient mené une action en justice ont été les premiers à être recherchés, leurs biens furent démolis et toutes leurs terres saccagées. La maison d’une famille qui n’avait pas fait partie des plaignants au tribunal a également été démolie avec un bulldozer (2). Les habitants qui ont déposé une plainte soulignent que l’un des terrains était titré borné, et que d’autres étaient munis d’un certificat foncier.

Au cours des échanges plutôt tendus, les responsables ont déclaré qu’il s’agissait d’un projet présidentiel qui ne pouvait pas être empêché d’avancer et qu’ils avaient le droit de démolir. Il a également été dit que l’argent des indemnisations n’était pas encore prêt mais que les travaux étaient urgents et ne pouvaient plus attendre.

LE NON-RESPECT DE LA LOI EST FLAGRANT

Les faits sont inacceptables pour diverses raisons. Mais le sujet urgent et important que nous tenons à pointer est le non-respect des lois de la République Malgache.

  • Il est stipulé dans l’article 34 de la Constitution malgache que : « L’Etat garantit le droit de propriété individuelle. Nul ne peut en être privé sauf par voie d’expropriation pour cause d’utilité publique et avec une juste et préalable indemnité».
  • Par ailleurs, de nombreuses procédures n’ont pas été respectées concernant la méthode d’expulsion et d’expropriation des personnes de leurs terres suite à une déclaration d’utilité publique conformément à la loi 62-023.
    • L’enquête de commodo incommodo, qui aurait dû être basée sur une étude complète et une identification des terrains concernés par le projet, n’a pas été réalisée de manière adéquate, précédée d’une notification par affiche pendant un mois pour permettre aux personnes concernées d’être informées et d’exprimer leur opinion.
    • Les habitants n’ont pas été informés du décret déclarant que les biens concernés sont visés par la déclaration d’utilité publique (Décret D.U.P.).
    • Les habitants n’ont pas non plus été informés de l’ordonnance du Président du Tribunal de Fénérive-Est précisant que les propriétés concernées sont visées par la déclaration d’utilité publique.
    • Les responsables de diverses catégories n’ont pas amené et présenté l’ordonnance, ni ceux qui sont venus démolir la maison et détruire les terrains, ni ceux qui y avaient assisté.
    • Il n’y a pas eu de consultation préalable sur le montant des indemnités qui ont été décidées de manière unilatérale par les autorités, à un niveau très bas, alors que la loi exige la création d’une commission administrative d’évaluation, et c’est cette dernière qui devrait faire cette évaluation.
    • L’indemnisation n’a pas été payée à l’avance, comme le stipule la loi.

APPEL AU PRÉSIDENT DE LA RÉPUBLIQUE, AU CHEF DU GOUVERNEMENT ET AUX AUTORITÉS COMPÉTENTES 

  • Les projets présidentiels ne devraient-ils pas être un modèle et un exemple à suivre pour le respect des lois en vigueur en République Malgache et pour le respect des droits de l’Homme ?
  • La possibilité pour les citoyens d’intenter des poursuites devant les tribunaux, de sorte que ceux qui engagent des poursuites ne devraient pas être punis ou « subir des représailles », fait partie des droits humains fondamentaux.  Les représailles dans ce contexte ne font qu’accroître la peur et la méfiance de la population vis-à-vis du système judiciaire.
  • Le paiement des indemnisations d’un montant adéquat doit être effectué rapidement pour ne pas augmenter les pertes subies par la population car les personnes à qui on a promis une indemnisation sont obligées d’ouvrir un compte bancaire. L’ouverture d’un compte courant dans une banque engendre des frais de tenue de compte et d’un intérêt débiteur chaque mois si le solde du compte est insuffisant et/ou négatif. 
  • Les organisations de la société civile signataires de cette déclaration lancent un appel aux responsables à tous les niveaux afin qu’ils :
    • reconnaissent et valorisent les efforts des habitants, 
    • respectent les droits des citoyens malgaches de toutes les régions du pays, 
    • s’abstiennent de tout acte intentionnel manifestant du mépris ou aggravant la pauvreté des populations,
    • fassent preuve de vigilance sur les conséquences de la mise en œuvre de chaque aspect des projets, notamment quand ces projets sont censés servir l’intérêt public et l’intérêt du pays.

Version orginale en malgache : 6 novembre 2024            –                   Traduction française : 14 novembre 2024

  • BIMTT
  • Collectif pour la défense des terres malgaches -TANY
  • FIANTSO Madagascar
  • ONG LALANA
  • Sehatra Iombonana ho an’ny Fananantany (SIF)
  1. https://newsmada.com/2024/10/30/fanamboaran-dalana-trano-miisa-400-narodana-ilain-ny-fanjakana-ny-tany/
  2. https://midi-madagasikara.mg/des-familles-reclament-leurs-indemnisations/