De la nouvelle loi 2022-013 sur les propriétés privées non titrées – PPNT – aux zones d’émergence : vigilance ! – Newsletter n°185

Nous vous présentons nos meilleurs vœux pour la nouvelle année, même si elle risque de ne pas être de tout repos

Ces derniers mois, l’Etat Malagasy a pris certaines décisions dont les effets vont se faire sentir au cours des mois et même des années à venir.

La remise en cause de la loi 2006-031 sur les propriétés foncières privées non titrées (PPNT) votée par les sénateurs et les députés d’une manière surprenante en juin 2021 (loi 2021-016) (1) avait fortement secoué et indigné tous les acteurs du secteur foncier à Madagascar et même à l’extérieur (2). Diverses actions, ainsi que la nomination d’un nouveau Ministre de l’Aménagement du Territoire et des Services Fonciers, ont contribué à la mise en place de la loi 2022-013 qui a annulé les points les plus scandaleux de la loi de 2021. Cependant une analyse attentive de cette nouvelle loi montre qu’elle n’a pas rétabli tous les droits dont jouissaient les occupants des PPNT dans le cadre de la loi de 2006. Ces réflexions sont basées sur le texte de loi (3) qui n’est plus accessible sur le site de l’Assemblée Nationale malagasy, d’où nous l’avions téléchargé en août 2022. Notons que cette loi précise que « En raison de l’urgence et conformément aux dispositions des articles 4 et 6 alinéa 2 de l’Ordonnance n°62-041 […] la présente loi entre immédiatement en vigueur dès qu’elle aura reçu une publication par émission radiodiffusée et ou télévisée ou par voie d’affichage indépendamment de son insertion au Journal Officiel de la République » (art. 55).

Parmi les sujets traités dans la nouvelle loi de 2022, ce communiqué abordera l’expropriation pour cause d’utilité publique et les anciens pas géométriques, désormais remplacés par la bande littorale de 25 m, qui posent question et méritent des éclaircissements de la part des autorités responsables, notamment au regard de certaines annonces faites par les dirigeants de l’Etat pendant le Forum National des Investissements pour l’Emergence de Madagascar (4) – qui s’est tenu les 28 et 29 octobre 2022 -, afin que tous les citoyens, surtout les paysans, soient informés et demeurent vigilants vis-à-vis de leurs droits sur les terres.


En cas d’expropriation pour cause d’utilité publique, les occupants doivent maintenant présenter un certificat foncier.

Des millions de personnes et familles malagasy possèdent des terrains souvent hérités de leurs ancêtres sans disposer de l’un des deux documents légaux de propriété, titre ou certificat foncier. Rappelons cependant que l’acquisition de titre foncier mis en place par le régime colonial et délivré par les services fonciers de l’Etat jusqu’à présent, s’avère impossible pour la majorité des citoyens malagasy à cause des difficultés rencontrées dans les démarches nécessaires à l’acquisition de ce document et de son coût exorbitant, alors que 80% de la population vivent en-dessous du seuil de pauvreté. Le certificat foncier, mis en place par la réforme foncière de 2005, délivré par les guichets fonciers communaux, nécessite beaucoup moins d’argent mais son coût reste inaccessible pour de nombreux paysans et seulement moins du tiers (1/3) des 1695 communes de Madagascar dispose d’un guichet foncier.

La loi de 2006 stipulait que tous les Malagasy qui occupaient et mettaient en valeur une PPNT étaient considérés comme propriétaires, en application de la présomption de propriété. En revanche, la loi de 2022 stipule qu’en cas d’expropriation pour cause d’utilité publique, « Il appartient au propriétaire d’apporter la preuve de son droit de propriété afin de bénéficier de l’indemnité d’expropriation » – article 25 alinéa 3 – et à l’alinéa 4 que « Pour les terrains non encore certifiés, la partie expropriante demande au Chef de l’Exécutif d’engager, à ses frais, une procédure accélérée de certification foncière. »

Cette clause manifeste une violation de la présomption de propriété préconisée lors de la Réforme Foncière qui reflétait une considération des droits coutumiers légitimes que la législation malagasy a toujours respectés (5). Cette exigence de certificat foncier pour avoir droit à l’indemnisation est contraire aux principes énoncés dans les « directives volontaires pour une gouvernance responsable des régimes fonciers » qui accordent une grande importance aux droits fonciers coutumiers légitimes. Elle porte aussi atteinte aux valeurs malagasy d’attachement à la terre héritée des ancêtres. Cette décision met vraiment en danger la vie de millions de citoyens malagasy vulnérables déjà en situation d’insécurité alimentaire car elle va leur enlever leur terre, qui est souvent leur seul facteur de production et leur seule source de revenus.

En effet, la découverte de cette grave entorse aux droits légitimes des occupants traditionnels a surpris et déçu puis a provoqué de fortes inquiétudes lorsque le Forum National sur les Investissements pour l’Emergence de Madagascar a annoncé la mise en place de Zones d’Emergence Agricoles (6) et Touristiques (7) en plus des agropoles, d’autres zones d’investissement (8) et des projets dits “phares” relatifs aux réseaux de communication et au « développement urbain » (9) pour lesquels les dirigeants recherchent des investisseurs et dont la mise en œuvre entraînera sûrement des expropriations pour cause d’utilité publique.

De plus, cet alinéa 4 de l’article 25 est tout à fait flou sur l’entité qui prendra en charge les frais d’acquisition de certificats fonciers. La partie expropriante est souvent l’Etat. Selon l’article 44 de la Constitution, “la fonction exécutive est exercée par le Président de la République et le Gouvernement”. Qui est alors le Chef de l’Exécutif visé par l’article 25 de cette loi ? Le Président de la République ? Le Premier Ministre ? Ou bien le Maire de la localité concernée ? Le décret d’application actuel (10) dans son article 62 n’apporte aucune réponse à ce sujet.

 Une incohérence évidente et illogique existe dans la loi entre la considération des droits des occupants traditionnels non-détenteurs de certificat foncier dans le cas des périmètres miniers situés à l’intérieur d’une propriété foncière privée non titrée – PPNT – (art. 24) et l’exigence d’un certificat foncier dans le cadre des expropriations pour cause d’utilité publique (art 25). Mais l’article 61 correspondant à l’article 24 dans le décret d’application n’abordant pas du tout le cas des occupants de PPNT qui ne possèdent pas de certificat foncier, un grand doute subsiste sur la réelle volonté de reconnaître leurs droits dans le cadre des périmètres miniers.

Par ailleurs, quelle solution préconise-t-on pour la certification accélérée lorsque les terrains concernés se trouvent dans l’une des 1.000 communes qui ne disposent pas de guichet foncier ?

 Nous réclamons la recherche et la mise en place, dès que possible, de mesures rétablissant de manière durable et pérenne les droits fonciers coutumiers des propriétaires non détenteurs de certificat et de titre fonciers. Dans le très court terme, nous proposons la conception et l’adoption rapides d’une circulaire ou d’un autre décret d’application, explicitant la procédure de certification accélérée mentionnée à l’art. 25, et développant les procédures de mise en œuvre de l’article 24 dans un sens le plus favorable aux occupants légitimes traditionnels. Ces informations devront être accessibles à tous les citoyens.

Par ailleurs, l’ordonnance sur l’expropriation pour cause d’utilité publique (11) et son décret d’application (12) nécessitent une révision pour être adaptés au contexte actuel car l’expropriation menace des millions de citoyens de toutes les régions dans les prochains mois, alors que les textes qui la régissent datent de 1962.

Des dispositions pratiques claires devraient être mises en place très rapidement concernant l’évaluation des pertes de revenu dues aux expropriations et le calcul des indemnisations permettant de maintenir ou d’améliorer les conditions de vie des personnes expropriées, qu’elles soient détentrices de certificats et titres fonciers ou non. Afin que les familles concernées ne connaissent pas de dégradation, même temporaire, de leurs conditions de vie déjà précaires, les nouvelles dispositions devraient préciser que les indemnisations seront remises aux bénéficiaires avant l’expropriation effective.

 L’autre clause de la loi 2022 qui sera abordée, car elle intéresse de nombreux citoyens malagasy et concerne particulièrement les Zones d’Emergence Touristiques (7), porte sur les anciens pas géométriques.


L’allusion aux anciens pas géométriques appartenant au domaine privé de l’Etat est maintenue dans la loi de 2022.

Dans certains pays, la zone des pas géométriques désigne l’espace de terre qui se trouve à 50 m du littoral des mers et des océans, relève du domaine public de l’Etat et ne peut pas être vendu par l’Etat.

La législation malgache a remplacé la zone des anciens pas géométriques par la bande littorale de 25 m, qui fait partie du domaine public et ne peut absolument pas faire l’objet d’une appropriation privée. La conséquence concrète directe de l’appartenance de la bande littorale de 25 m au domaine public est l’interdiction de la vente de mangroves et d’îles, qui ne peuvent pas devenir des propriétés privées (13).

Pourtant, avant de parler du projet de construction d’hôtels 5 étoiles dans 20 sites touristiques à proposer aux investisseurs, dont les îles Nosy Iranja et Nosy Mitsio, le Président de la République a confirmé dans son discours pendant le Forum National des Investissements pour l’Emergence de Madagascar que l’île d’Ankao où se trouve l’hôtel Miavana, a été privatisée (14). Le grand public avait déjà appris ce statut de l’île à l’occasion du séjour d’un célèbre acteur à cet endroit en décembre 2020 (15).

Comment, quand et par qui l’île d’Ankao a-t-elle été vendue à un particulier ou à une société ? Si cette vente est illégale, une procédure d’annulation de la vente devrait être entreprise.

Une circulaire devrait clarifier le statut juridique des mangroves et de la bande littorale de 25 m qui appartiennent au domaine public et ne peuvent pas faire l’objet d’une appropriation privée, afin de protéger l’écosystème sensible du littoral.


Conclusion

Le devoir des citoyens de connaître les lois et leur droit fondamental à l’information nécessitent que les lois soient claires et accessibles au grand public. Les responsables devraient rendre la loi 2022-013 et son décret d’application accessibles rapidement sur internet avant sa publication obligatoire dans le Journal Officiel.

 Les différentes clarifications demandées à l’aide de circulaires, décret d’application ou révision de textes de loi exprimées dans ce communiqué s’avèrent urgentes car les problèmes d’expropriation pour cause d’utilité publique se posent déjà de manière concrète dans l’expérience de l’autoroute Antananarivo – Tamatave où les conséquences de l’absence de considération des populations impactées provoquent réflexions et contestations (16). Le nombre de familles prévues pour être indemnisées suscite également des inquiétudes (17).

D’autres points de la loi 2022-013 font l’objet de controverses de la part de différents acteurs et méritent une interpellation mais ce communiqué s’est limité à ceux mentionnés ici pour des raisons de priorité.

Les concepteurs et décideurs des lois malagasy devraient veiller à ce que les investissements et projets censés apporter le développement, qui profitent sans aucun doute à une minorité, n’appauvrissent pas les communautés directement impactées.


12 janvier 2023
Collectif pour la défense des terres malgaches – TANY


RÉFÉRENCES :

(1) loi 2021-016 : https://cnlegis.gov.mg/uploads/L2021-016-VF.pdf

(2) https://www.madagascar-tribune.com/La-nouvelle-loi-fonciere-malgache-2021-016-Appel-a-la-vigilance-de-tous-les.html
https://strugglesforlandforum.net/v2/lettre-des-paysans-malgaches-au-president-de-la-republique-et-aux-membres-de-la-haute-cour-institutionnelle/ ;
https://www.landcoalition.org/fr/newsroom/madagascar-80-of-malagasy-at-risk-of-eviction-from-their-land/?fbclid=IwAR2wuLUrcXp3GQPK3LpWaNuCKnCH4B3JLwdROKkyW7JgAmB4YE7mjo8Elw4https://www.foncier-developpement.fr/actualite/madagascar-fortes-inquietudes-autour-de-la-nouvelle-loi-fonciere/,
BM,

(3) loi 2022-013 : version comportant encore l’expression de l’article 29 alinéa 2 jugée non conforme à la constitution par la Haute Cour Constitutionnelle : https://drive.google.com/file/d/1W75z5TfxW8R3svJlJJicH2bDetHY9kB7/view?usp=share_link
– lien non accessible actuellement mais visible en août 2022, : https://www.assemblee-nationale.mg/wp-content/uploads/2022/08/Loi-n%C2%B0-2022-013-propri%C3%A9t%C3%A9-priv%C3%A9e-non-titr%C3%A9e.pdf
– Décision de la Haute Cour Constitutionnelle : Décision n°06-HCC/D3 du 27 juillet 2022 concernant la loi n°2022-013 portant refonte des règles fixant le régime juridique de la propriété foncière privée non titrée.

(4) https://www.presidence.gov.mg/actualites/1712-cloture-du-forum-national-des-investissements-pour-l-emergence-de-madagascar.html

(5) Loi 60-004 du 15 février 1960, article 11 al.2 et article 18 : http://www.justice.mg/wp-content/uploads/textes/1TEXTES%20NATIONAUX/DROIT%20PRIVE/Textes%20sur%20le%20foncier/lois%20et%20ordonnances/3.pdf  ;

(6) https://lexpress.mg/29/10/2022/emergence-agricole-madagascar-vise-lautoffisance-en-riz-des-2024/

(7) https://midi-madagasikara.mg/2022/10/29/destination-madagascar-un-million-de-touristes-prevus-en-2028/

(8) https://www.foncier-developpement.fr/publication/zones-dediees-a-linvestissement-a-madagascar-zef-zii-zes-zia-caracteristiques-et-incidences-foncieres/

(9) https://www.facebook.com/watch/live/?ref=watch_permalink&v=1174613933152651 (min 1’ à 10’)

(10) décret d’application de la loi 2022-013 : https://filedn.com/lzR2s0OWOmk4aW2x50htrdQ/D%C3%A9cret%20PPNT.pdf

(11) https://edbm.mg/wp-content/uploads/2017/12/L62-023_expropriation.pdf

(12) https://drive.google.com/file/d/1i7VAOzrg0u6tfx-DNJSlb820kopKhUG2/preview

(13) Normes de performance standards de la SFI :
Loi sur le domaine public de l’Etat n°2008-013
– Article premier : « le domaine public immobilier de l’Etat comprend l’ensemble des biens […] qui ne peuvent devenir […] propriété privée »
– Art. 3 : « Font partie du domaine public les biens ci-après :[…] 3/ Une bande littorale d’une largeur de 25mètres à partir de la limite ci-dessus »
– Art. 15 : »Certaines parties du domaine pubic de l’Etat, à l’exception de la bande littorale de la mer […] peuvent faire l’objet […] a/ d’un contrat de concession […] b/ d’une autorisation d’occupation temporaire.
 Loi sur le domaine privé de l’Etat n°2008-014
art.50.- Les terrains compris dans l’ancienne zone des pas géométriques, distraction faite de la bande littorale de vingt cinq (25) mètres, accroissent au domaine privé de l’Etat

(14) https://www.facebook.com/watch/live/?ref=watch_permalink&v=1174613933152651 (min 12’52)

(15) https://www.linfo.re/ocean-indien/madagascar/le-president-malgache-invite-par-tom-cruise-en-vacances-sur-l-ile-d-ankao

(16) http://www.lagazette-dgi.com/?p=88973

(17) https://midi-madagasikara.mg/2022/12/15/tracage-dautoroute-104-parcelles-touchees-deja-identifiees/