Alerte concernant le deuxième projet de loi sur les terrains à statuts spécifiques – Newsletter n°182

Introduction

Un projet de loi sur les terrains à statuts spécifiques à Madagascar avait été fortement contesté par diverses structures en 2020 (1). La société civile avait ensuite appris qu’un nouveau texte avait été rédigé mais non diffusé. Ayant eu l’opportunité de lire le nouveau projet de loi quelques jours avant son passage cette semaine devant la commission qui l’étudiera avant sa transmission au Conseil du Gouvernement, le Collectif TANY réagit à quelques idées qu’il juge inacceptables et propose de reconsidérer ce projet de loi, d’une part, en fonction de son principal intérêt défini dans l’exposé des motifs, d’autre part, en vue de la protection des propriétés des citoyens malagasy, dont la majorité sont des producteurs sur de petites exploitations paysannes.

Après une présentation des éléments essentiels du nouveau projet de loi, nous partagerons quelques réflexions cruciales et urgentes sur la pertinence très discutable de certains points de son contenu et le danger que constituent les conséquences d’une application éventuelle de ce projet de loi pour les droits fonciers des citoyens. Nous formulerons également quelques questions et propositions.


Présentation succinte du projet de loi sur les terrains à statuts spécifiques

Les terrains à statuts spécifiques (TSS) constituent le 5e statut des terres à Madagascar défini par la loi de 2005 dans le cadre de la réforme foncière, les quatre premiers étant le domaine public de l’Etat, le domaine privé de l’Etat, les propriétés privées titrées et les propriétés privées non titrées. Selon l’article 3 du projet de loi, les TSS « présentent des intérêts publics, à caractères économiques ou sociaux ou environnementaux ou stratégiques ». L’article 5 cite « les terrains constitutifs de zones réservées pour des projets d’investissement, les aires protégées, les terrains support de la législation sur la gestion des ressources naturelles, les forêts, les domaines communautaires, les réserves foncières, les zones de développement local,… ».

« Les parcelles et terrains […] des Domaines de l’Etat et les propriétés privées […] sont éligibles pour devenir des zones (à statut) spécifique » (art 6). « Le consentement des propriétaires des terrains est recueilli au préalable » et ils « peuvent également céder volontairement [..] leurs terres à l’Etat. […] Pour les zones réservées aux projets d’investissement, à défaut du consentement de vouloir verser leurs terrains parmi les aires (à statut spécifique), une procédure d’expropriation pour cause d’utilité publique peut être réalisée. » (art.7).

Concernant la création des aires à statut spécifique, « il appartient à chaque Ministère concerné par la vocation (destination) des terrains, […] de « mener les études de faisabilité desdites aires, leur identification et inventaire parcellaire tout en effectuant le règlement des conflits avec les occupants et le recueil de consentement des propriétaires » (art.13). « En attendant l’acte administratif de création du TSS, un arrêté interministériel du Ministère concerné pris conjointement avec le Ministère en charge du Foncier portant immobilisation des Domaines Privés de l’Etat concerné par le projet peut être adopté. Cet arrêté interministériel fixe la durée de l’immobilisation à la durée (nécessaire) à l’adoption du décret de création du TSS. » (art.14). « Le décret déclaratif de création (des TSS) ne peut être adopté qu’après la réalisation de la procédure d’expropriation » mentionné dans la phrase de l’article 7 citée ci-dessus. (art.15)

D’autres thèmes évoqués dans le projet de loi méritent d’être mis en évidence, mais nous en parlerons plus tard.


Le projet de loi ne vise pas la protection spécifique annoncée dans l’Exposé des motifs.

Selon l’exposé des motifs (alinéa 6), « Le principal intérêt du présent projet de loi est l’articulation de la sécurisation foncière des terrains constitutifs des aires soumises à régime juridique de protection spécifique avec leur usage prescrit par les outils de planification territoriale sans préjudice de l’appropriation des terrains en question (2). C’est ainsi que les Domaines de l’Etat et les propriétés privées peuvent être soumis aux régimes de protection spécifique par le présent projet de loi ».

Et pourtant le projet de loi prône le retrait des biens fonciers appropriés par les citoyens, soit par cession volontaire à l’Etat, soit par expropriation pour cause d’utilité publique. Cette notion devient le sujet principal du projet de loi mais non pas la protection spécifique. De surcroît, le contenu de ce projet de loi tend à traiter de l’acquisition de terrains au lieu de donner des précisions

  • sur le principe de protection spécifique et son articulation avec la protection des droits de propriété foncière, d’une part,
  • sur l’articulation entre la protection d’usage et/ou la destination du terrain et la protection du droit de propriété foncière, d’autre part.

Ce projet de loi devrait distinguer la destination du terrain de son propriétaire. La signature d’un cahier de charges entre le propriétaire et l’Etat, comme stipulé à l’article 7 devrait permettre d’envisager le respect de la propriété.


Le consentement libre, informé et préalable inclut le droit de dire « non »

Un changement est survenu par rapport à la version 2020 de ce projet de loi. L’information des propriétaires est prévue plus tôt dans le processus de création de TSS, malheureusement il leur est demandé, soit de céder leurs terres de manière volontaire, soit de subir une expropriation pour cause d’utilité publique en cas de non-consentement. Le principe du consentement libre, informé et préalable, qui inclut selon le droit international, le droit de dire « non » n’est pas respecté et très maltraité. De plus, l’article 544 du Code civil stipule que « la propriété est le droit de jouir et disposer des choses de la manière la plus absolue, pourvu qu’on n’en fasse pas un usage prohibé par les lois ou par les règlements »


Le projet de loi sur les terrains à statuts spécifiques ne doit ni exclure ni ruiner les exploitants actuels

L’article 7 de ce projet de loi précise que « concernant l’expropriation des propriétés privées titrées ou certifiées, il appartient au promoteur d’en assurer les mesures s’y rapportant ». Le promoteur désignant le « département ministériel ou (..) la collectivité décentralisée qui sera en charge de la promotion des (TSS) » (art. 2), aucune ligne budgétaire n’est prévue dans la loi des finances pour les compensations et indemnisations qui permettraient aux familles expulsées de maintenir ou d’améliorer leur niveau de vie (3). Comme les surfaces de terre impliquées dans les zones d’investissement, telles que les superficies prévues dans le cadre de la stratégie nationale d’agribusiness s’élèvent à 4 millions d’hectares (4), le risque d’une détérioration des conditions de vie, de revenus, de logement, d’alimentation déjà très précaires de la majorité des paysans et des producteurs dont la vie dépend de leur terre, est très élevé, si jamais ces expropriations pour cause d’utilité publiques sont maintenues dans la loi. Au lieu de correspondre au « développement » tant recherché par tous, les conséquences des mesures préconisées par ce projet de loi seraient plutôt une généralisation de la famine et une aggravation de la pauvreté. Il doit être remanié profondément.


Les exploitants agricoles familiaux ne doivent pas être obligés d’adhérer à l’agriculture contractuelle 

La précision soulignée dans le projet de loi sur les zones réservées pour les projets d’investissement agricole mérite de retenir l’attention : selon l’article 5, ces zones « incluent les zones d’extension pour l’agriculture familiale qui y est attachée à travers une agriculture contractuelle », la définition de l’agriculture familiale donnée à l’article 4 étant « un système d’agriculture permettant à l’exploitant agricole familial d’obtenir principalement un revenu qui lui procure une vie descente (5) et de développer en particulier son unité de production à travers des moyens ou grands investissements ». Cette définition insolite de l’agriculture familiale signifie-t-elle que les superficies impliquées dans l’agriculture contractuelle et l’agrégation agricole deviendront également des TSS et que les exploitants actuels qui n’accepteraient pas d’adhérer à l’agriculture contractuelle ou à l’agrégation agricole (6) prévue dans les environs de leur terrain seront expropriés pour cause d’utilité publique, comme écrit dans ce projet de loi ? Tout comme les investisseurs sont libres de participer ou non à une agriculture contractuelle, les millions d’agriculteurs producteurs des 23 régions doivent aussi jouir de la liberté de choisir de rester indépendants dans leur travail ou d’adhérer à une agriculture contractuelle.


Ce projet de loi sur les terrains à statuts spécifiques est inacceptable, il doit être changé en profondeur.

Les étapes de la « sécurisation » des TSS décrites dans le projet de loi rejoignent les informations de diverses sources affirmant que les 60.000 hectares destinés à la société émiratie Elite Agro dans le Bas-Mangoky ont été délimités depuis plusieurs mois et deviendraient une agropole. La localisation des futures zones d’investissement industriel (ZII) et les zones économiques spéciales (ZES) commencent à être identifiées à Moramaga, Ambatolampy, Antsiranana, .. (3), sans compter les projets qui risquent de léser les droits des citoyens dans les domaines des aires protégées, les forêts et autres, que nous n’avons pas abordés dans ce communiqué.

Le fait de répartir les responsabilités entre les différents ministères dans ce nouveau projet de loi ne change rien à la responsabilité collective des dirigeants, puisqu’ils soutiennent et vont appliquer la même politique dans le domaine du foncier et vis-à-vis des citoyens.

Nous réitérons et renforçons la demande de concertation avec les communautés locales et les acteurs concernés directement par les différents types de terrains, exprimée par des dizaines d’organisations de la société civile en mai 2020, afin de formuler un autre projet de loi sur les terrains à statuts spécifiques qui ne détruit pas les acquis des producteurs malagasy et qui ne les appauvrit pas.

19 septembre 2022
Collectif pour la défense des terres malgaches – TANY

Références :

(1) https://www.madagascar-tribune.com/Communique-des-organisations-de-la-societe-civile-sur-le-projet-de-loi-cadre.html
(2) c’est nous qui soulignons
(3) Comité technique « Foncier & Développement », 2022 – Zones économiques spéciales et foncier : tendances globales et incidences locales au Sénégal et à Madagascar, AFD, MEAE
(4) Pire que le projet Daewoo, la stratégie nationale d’agribusiness : https://www.farmlandgrab.org/post/view/30273
(5) Nous avons gardé l’orthographe du projet de loi
(6) La loi malgache sur l’agrégation agricole porte le n°2022-002